Trafic d’influences

François Hollande à Moroni a pu choquer une certaine opinion, propre sur elle-même, toujours prompte à donner des leçons, persuadée qu’elle a raison sur les faits. Parmi les plus excités se trouvent les défenseurs du droit international. Des perroquets au verbe facile, capable de vous assommer avec des discours inaudibles sur la raison du plus juste, sans jamais arriver à se faire entendre, même au sein de la population comorienne. Combien de lettres ouvertes à Hollande durant ces dernières semaines ? Qui va les lire à l’Elysée, maintenant que le président français a pu traverser Moroni, sans être ébranlé, ne serait-ce que par la tragédie du mur Balladur ?

La vérité est relativement âpre, difficile à admettre, implacable pour quiconque exige des réponses dans cette histoire de relation franco-comorienne au goût de sagou frelaté. La phrase peut ne pas plaire à beaucoup, mais il y a longtemps que les dés sont jetés. Non pas parce que les Comoriens seraient malchanceux ou maladroits, mais simplement parce que la France a toujours su tisser sa toile d’influences, en se fondant sur une connivence comorienne, sans éthique politique. Combien sont-ils à mendier une bénédiction à l’ambassade de France pour exister dans ce pays ? Des petits privilèges (décorations, visas, bourse, aide en coopération) à la peur de ne pouvoir se présenter aux élections de 2016 (faute de soutien élyséen), ils sont nombreux à s’inscrire dans les promesses françaises, à rendre le lobbying néocolonial possible. Qui irait imaginer qu’un ministre comorien haut placé échangerait son silence contre la nomination de son épouse à la tête d’une institution nationale sous contrôle de l’AFD ?

C’est François Hollande qui, justement, a parlé de l’Agence française de développement à Mayotte, vendredi dernier. C’est lui qui a évoqué la possibilité de racheter la colère bue des Comoriens contre l’amputation archipélique. Et c’est l’AFD, qui, par son clientélisme et ses petits réseaux, va réussir a semer le trouble dans les esprits, en annulant une hypothétique dette (dette postale des années 1980?) de l’Etat comorien et en signant deux ou trois accords (de co développement) en coopération. Car c’est elle qui démantèle le pays, bout par bout, chantier par chantier. Il suffit de voir le travail abattu dans le démembrement du système de santé publique depuis cinq ans. Les indignés comoriens devraient commencer par refuser toute aide offerte par l’AFD. C’est aussi important que d’obliger l’Etat comorien à se rendre à la Cour pénale internationale pour les morts du Visa Balladur. Mais qui ça intéresse ? Durant son règne, Sambi avait réussi le tour de force de contourner cette pièce maîtresse de la diplomatie d’influences qu’est l’AFD, en ouvrant la porte à des capitaux étrangers. Son petit jeu n’a malheureusement pas duré. Et l’essentiel des valeurs de dépendance économique ont été préservées, grâce aux agents comoriens mis sous influence. Il semble qu’une entreprise française, établie dans le pays grâce à cette même AFD, s’apprêterait à financer des élections locales, en corrompant quelques oligarques locaux. Il suffit de se renseigner sur le port de Moroni pour savoir que tel ministre ou tel directeur a sauvé sa peau dans l’administration grâce à l’appui non déclaré de l’AFD. Ces choses-là, attention, ne se disent pas à haute voix…

François Hollande a pu parader sans risques à Moroni, lors du 4ème sommet de la COI, parce que le vers est dans le fruit, depuis fort longtemps. Tout le monde devine le visage de ces officiels ayant comprimé l’expression populaire dans les quartiers ce week-end pour éviter des désagréments au président de la république française. Tous ces élus et représentant de l’autorité nationale, qui, en réalité, ne travaillent qu’à leur survie personnelle dans un système corrompu jusqu’à sa racine. Tous ces hommes d’affaires, qui, en réalité, ne pensent qu’à leurs profits immédiats, si dérisoires, comparés à l’avenir d’un pays. Tous ces conseillers de l’ombre, consultants et militaires, pieds et poings liés par l’intelligence française en guerre contre le peuple de ces îles. Nul ne devrait s’étonner que cela nous arrive. Si Hollande a pu faire son numéro sans subir une crise dans les rues de Moroni, c’est parce des Comoriens, bien mis dans leurs costumes et dans leurs fonctions, ont desservi l’intérêt de ce pays, sous contrôle direct des services de l’ambassade de France et des envoyés spéciaux de Paris. Ils ont même annoncé dans les journaux (quelle arrogance !) que la France s’était spécialement chargée de former tout le monde pour l’occasion, afin qu’il n’y ait aucun dérapages.

SAMSUNG CSC

Il serait idiot de croire que ce travail ne date que d’hier. Le trafic d’influences opéré en ces îles par la France remonte à 1841. Il y en a toujours eu, qui œuvraient au service de l’ennemi, parmi les élites dirigeantes de ce pays. Mais on omet toujours de les citer. A la mort du président Ahmed Abdallah, chacun y est allé de son discours sur le temps des mercenaires et de la dictature en toge. Mais combien sont-ils à être devenus des acteurs (ou des marionnettes ?) du « second cercle », en ayant collaboré au plus près avec la France et ses chiens de guerre dans l’ombre ? Quelqu’un s’interrogeait, précédemment, sur le silence du parlement comorien durant le sommet de la COI, ce week-end ? Mais cette personne sait-elle au moins qui était l’actuel président de l’assemblée nationale du temps de Bob Denard ? Un président de l’assemblée nationale intercepté par la police française, il y a encore quelques mois, avec des valises d’argent non déclarés à Roissy ? Comme c’est un pays qui pardonne à ses traîtres, tout le monde se tait, bien sûr. Et la France continue ainsi à acheter le silence et le zèle des uns et des autres, à prix soldés. A Moroni comme à Mayotte, c’est comme ça que le pouvoir perdure. En trahissant le peuple contre de petits avantages sans nom. Vous aurez remarqué que la France n’a plus besoin de crier au loup dans ces îles. Il y a toujours un bon mahorais ou comorien pour le faire à sa place.

Et dans ce cas précis, on explique à l’opinion que le pays risque de rater une occasion de se taire et de profiter des largesses françaises, sans lesquelles il ne pourrait tenir debout. Question d’histoire ! Qui se souvient des conseillers techniques de la coopération française dans les ministères comoriens des années 1980 ? On se souvient à peine de la suite : le PAS, les entreprises publiques bradées, le séparatisme, et le pays encore plus déstructuré que jamais. A dire vrai, ce sont surtout les jeunes qui devraient s’énerver. Ce sont eux – environ 60% de la population – qui trinquent, en premier lieu. Mais comme leurs aînés se taisent, ils finissent par penser que la France ne fait que jouer pleinement son rôle, en renforçant son contrôle sur ce territoire. Car les Comores ne sont pas une chose indépendante, loin de là. Les Comores sont une colonie, n’en déplaise aux militants de toute sorte, divisée en deux espaces, Mayotte et le reste des îles, avec des variations de statut. Une fois intégrée cette dure vérité, ces jeunes n’ont que deux alternatives possibles. Soit ils apprennent à se vendre au plus offrant pour profiter du système à leur tour, soit ils brûlent tout ce qui bouge autour pour que ça change. Car ce sont eux qui paient le prix fort, entre Anjouan et Mayotte, dans cette mainmise française aux Comores. Mais le fait est qu’ils n’en sont pas conscients. Le système leur a tellement déformé l’esprit qu’ils ont du mal à saisir la complexité des enjeux. Et c’est ainsi que la France peut continuer à renverser les barques dans l’impunité, à fabriquer des sans-papiers dans le mépris, à nourrir une guerre de la salive inutile, avec l’aide de ses agents comoriens mis sous influence.

Qui gagne quoi au prix du silence politique sur le marché de Volo Volo ?

Kari Dufj.

France-Comores : bilan 3+1?

Pour gagner une guerre, il faut peut-être songer à la commencer, un jour. Celle, souterraine, que mène la France contre les Comores, n’a jamais été consacrée par des efforts de libération, puisque les Comoriens ne l’ont jamais reconnue comme telle. Au contraire, l’Etat comorien a poussé le principe du masochisme jusqu’à signer un traité d’amitié au Palais de l’Elysée, l’an dernier.

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C’est une situation unique, singulière, inique, que celle d’un peuple subissant violence et déni, arrogance et mensonge, tout en exprimant une forme de ravissement à l’idée de prendre la photo aux côtés de son adversaire décalré. Le dominé clamant son plaisir à être soumis, écrasé, fracassé sur la Une du journal national. Ikililou Dhoinine aux côtés de François Hollande, en avant-scène sur la couverture d’Al-Watwan, comme si de rien n’était.

Une situation à laquelle l’Etat français, à coup d’intrigues, vient d’ajouter un autre élément, à la veille du 4ème sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission de l’Océan indien (COI), en déclarant que les Comores ne pourront plus revendiquer Mayotte, désormais. Le débat serait clos. Le président français l’affirme, à son arrivée à Moroni, en donnant l’impression que l’Etat comorien lui donne son aval. Le comble de toute domination, c’est quand le maître se pavane, en étant assuré de sa puissance et de sa capacité à réécrire l’histoire, pendant que la victime à ses côtés affiche sa reddition. Du temps du président Azali, les Comores avaient accepté de retirer la question de Mayotte à l’Assemblée générale des Nations Unies pour se lancer dans des discussions à caractère bilatéral dans l’arrière-cour, avec le risque de voir la force française écraser le petit archipel.

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Aujourd’hui, la chose étant confirmée, la France de Hollande prévoit d’utiliser son bras financier, à savoir l’AFD, dans un processus de pacification tarifée, où il s’agit pour l’Etat français d’acheter le silence de l’opinion, avec de prétendus dons et subventions accordés à l’économie comorienne. « Prétendues », car il est clair que l’argent français dépensé dans le cadre de l’aide en coopération dans ce pays n’est qu’un investissement à rentabilité immédiate. Il n’est plus besoin d’expliquer ici. La France n’est pas aux Comores pour les beaux yeux des « Mahorais », qui ne sont qu’une identité fabriquée dans le but de servir d’autres intérêts, autrement plus complexes. Les retours sur investissement de la France dans la sous-région sont d’ordre géostratégiques, militaire, économique. Sans parler de l’exploitation future du bloc 22 que révèlent les actuelles négociations sur les explorations pétrolières dans les eaux comoriennes.

Trois présidents assassinés, un président déporté, cinq autres intimidés, et quarante années de tergiversations autour de l’intégrité territoriale d’un pays. Pour asseoir sa politique de néantisation du peuple comorien, la France n’a reculé devant rien. Et les 22 résolutions prises par les Nations Unies contre l’occupation de Mayotte n’auront servi qu’à faire s’agiter inutilement la classe politique comorienne. Aujourd’hui encore, après la déclaration de guerre de François Hollande (c’en est une !), ce 22 août 2014, l’opposition comorienne ne parle que de « revendiquer », au lieu d’acculer son président, qui, lui, consent à accueillir le président français en ami. Un paradoxe, puisque la France à Mayotte, ce sont plus de 20.000 morts comoriens pour cause de visa Balladur en 20 ans. Ce sont 26.000 refoulés comoriens en 2013. C’est surtout l’histoire d’un peuple comorien rendu « clandestin » en sa propre terre.

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On sait que l’Etat français n’a pas cédé sur son projet colonial dans ces eaux. Il n’a même jamais feint d’être parti des Comores, en respect de l’indépendance autoproclamée. Ce qui est nouveau, c’est que l’Etat français réaffirme son mépris, en exigeant du président comorien le démembrement définitif de son archipel contre quelques menues monnaies, en présence des représentants de la communauté des Etats insulaires du sud-ouest de l’Océan indien. Dans le récit cent fois renouvelé du néolibéralisme, il est dit que tout s’achète à vil prix. Mais rarement on a vu la victime se congratuler autant sous les bottes du maître. Ikililou Dhoine, chef de l’Etat comorien, déroulant le tapis vert pour François Hollande, celui-là même qui enterre en fanfare le peuple de ces îles depuis Mayotte. Mais Ikililou Dhoinine n’et pas seul à renoncer en son pays ou à fendre de le défendre sans agir. Le peuple comorien est témoin de sa propre déchéance, en ces jours fatidiques. Il tourne ainsi une page importante de son histoire sans se débattre, le moins du monde.

Aucune action d’envergure n’était à noter dans les rues de Moroni, lors du passage de François Hollande, ce samedi 23 août 2014, sauf (peut-être) la performance singulière d’un jeune militant, affublé d’un coq bariolé symbolisant la France. Elle a été réalisée sur la place Badjanani, avec des citoyens qui se montraient plus spectateurs qu’acteurs de leur déchéance. En dehors de cette action, on n’a guère entendu parler que de panneaux interdits d’affichage, de pétitions en coulisses, de lettres ouvertes et de billets d’humeur sur les réseaux sociaux. Rien d’absolument dérangeant pour le pouvoir en place, pris en flagrant délit de collaboration avec une intelligence étrangère. Ikililou Dhoinine,  recevant François Hollande, devant ses pairs de la COI, pour son 4ème sommet, a fait même mince de s’indigner. Les quelques réactions venues en contrepoint de l’état de défaitisme ambiant ont paru isolées, peu concertées, et n’ont pris aucunement sens pour apaiser le bon peuple. Au parlement national, les députés comoriens ont aussi donné l’impression de raser les murs. Pour ne pas entraver le travail engagé, localement, au service de la puissance française. Certains avouent leurs peurs. Ils craignaient de devoir affronter la sécurité que le chargé national de la défense, Ahmada Madi Boléro, et ses amis, de l’armée et de la gendarmerie comorienne, s’amusaient à dresser contre tout concitoyen désirant s’insurger devant ce qui paraît être un fait accompli. L’intelligentsia du pays murmure dans son ensemble comme si elle s’était laissée emmurer dans ses quatre îles. Mais tous, hélas, ne pourront dire qu’ils n’étaient pas là. Il est clair que face à cette situation, la publicité de la compagnie réunionnaise Air Austral, desservant Moroni, sonne comme une prophétie. Sur ses affiches depuis près de dix ans, Air Austral écrit « Mayotte et les Comores ». Et ses passagers comoriens, nombreux, semblent s’en être fait une raison.

Shinua

Lettre ouverte à François Hollande

Monsieur le Président de la République,

Non ! Monsieur le Président, Mayotte ce n’est pas la France, et vous le savez. En disant qu’à Mayotte vous êtes pleinement en France, vous mentez aux mahorais et vous mentez à la République.

Mayotte est une relique de l’histoire coloniale de la France dans l’océan indien. La présence française à Mayotte est contraire au droit international, et vous le savez.

Vous, président, n’ignorez pas le drame de la décolonisation inachevée du territoire des Comores.

Vous, président, n’ignorez pas que la gauche a été la première a dénoncer l’amputation de Mayotte du reste du territoire des Comores.

Vous, président, n’ignorez pas que la France a été maintes fois condamnée par l’Assemblée générale des nations unies pour son maintien à Mayotte.

Vous, Président, n’ignorez pas que la liberté des populations sous domination est un droit fondamental inaliénable.

Vous, Président, n’ignorez pas qu’il n’y aucune forme de liberté dans la perpétuation de la domination.

Vous, Président, n’ignorez pas que si Mayotte, première île des Comores, qui partage la même histoire, la même culture, la même langue, les mêmes croyances et les mêmes origines avec les trois autres îles de l’archipel des Comores, ne fait pas partie des Comores, elle ne fait partie de nulle part.

Vous, Président, n’ignorez pas qu’en maintenant artificiellement la France à Mayotte, vous y dilapidez l’argent de nos impôts pour mettre l’île sous perfusion et donner l’illusion d’une France généreuse.

Vous, Président, n’ignorez pas qu’en maintenant artificiellement la France à Mayotte, vous divisez et discriminez les centaines de milliers de français originaires de l’archipel des Comores.

Vous, président, n’ignorez pas que ce n’est pas seulement dans la méditerranée que des gens meurent en mer en tentant de gagner l’Europe, dans l’archipel des Comores, la France provoque la mort en mer de milliers de comoriens (dans leur pays).

Monsieur le Président, il est de la responsabilité de la France de parachever la décolonisation des Comores.

Je sais que la position officielle de la France est de considérer que la population de Mayotte a exercé librement de son droit à s’autodéterminer et notamment la modalité d’intégration à un Etat indépendant, puisque « les populations des Comores » consultées aux fins de savoir si elles souhaitaient l’indépendance, certaines ont répondu « oui » et ont accédé à l’indépendance, et d’autre, en l’occurrence celle de l’île de Mayotte ont répondu « non » et exprimé le choix de rester français et le sont restées.

Mais une telle lecture est contraire à la libre détermination des peuples coloniaux. Le droit à la libre détermination des peuples coloniaux quelle qu’elle soit la forme qu’il prend implique, nécessairement la rupture totale des liens avec l’ancienne puissance coloniale. Il n’y a réellement de décolonisation que lorsqu’il y a sécession de l’ancien territoire colonial ou non autonome avec le territoire de la Puissance coloniale. Le critère déterminant de la décolonisation est la rupture des liens avec la « métropole ».

Monsieur le Président, des centaines de milliers de français ont la double nationalité française et comorienne et sont très fiers d’appartenir à ces deux peuples amis qui partagent une longue histoire commune. Ne privez pas les majorais d’une part de leur histoire.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

Said Mohamed Said Hassane

Le blog Mur Balladur tient à préciser que l’événement historique sur lequel s’appuie la France en 1974 est  une situation de référendum, dûment truqué par la France pour aboutir à cette décisions. Le vote en faveur de la présence française (66%) a été amputée d’une partie des votants majorais, expulsés manu militari de l’île pour avoir dit leur refus contre la France.

Radio memories

Archives sonores. Sons extraits de « Obsessions de lune / Idumbio IV » et de « Un dhikri pour nos morts », deux propositions scéniques faites par Soeuf Elbadawi, homme de théâtre comorien. Créer au théâtre, c’est aussi interroger l’histoire.  Avec les voix notamment du président français Giscard d’Estaing, du président comorien Ahmed Abdallah, de l’ex-vice président comorien Idi Nadhoim, du député français Noël Mamère, du citoyen Alex César…

Pour écouter une lecture de Obsessions de lune/ Idumbio IV, enregistrée au festival d’Avignon, se rendre sur le site de RFI, dans l’émission « Ca va ça va le monde ».

La France et le Gouverneur (REACTUALISE)

Il fut un temps où tout paraissait simple aux Comoriens. Les méchants, d’un côté. Les bons, de l’autre. Le monde se résumait en deux couleurs bien distinctes, la blanche et la noire. Il y avait la couleur du colon, il y avait celle de l’oppressé, et personne ne pouvait ou ne voulait se tromper. Disons que les rôles étaient campés à la perfection par les deux principaux protagonistes. Les méchants jouaient aux prédateurs, les bons aux victimes. Avec un bémol cependant…

De temps à autre, s’ouvrait une voie de la dissidence, qui ne souffrait pas d’indifférence, certes, mais qui ne perdurait que de façon intermittente dans le paysage. Ceux qui s’y engouffraient ne savaient pas toujours raison garder. Ils étaient incapables notamment de voir la poutre danser dedans leurs yeux, tellement ils étaient concentrés sur la seule chose dont ils étaient à peu près sûrs sur cette terre. Le mal absolu s’incarnait chez l’adversaire, venu du lointain, pour s’improviser voisin de toujours. Nous avions l’Etat français d’un côté, les Comores de l’autre. Et il n’y avait aucun risque de confusion.

Puis il y eut l’émergence d’une scène politique nationale, tellement bouffée par son égo, qu’elle finit par oublier l’humanité la portant aux nues. De cette époque date des vagues de compromission, jamais imaginées auparavant, servant à démanteler le territoire, depuis Paris. Fini le temps où l’on célébrait Masimu, na Mtsala et Patiara. Fini le temps où l’on discourait sur Abdou Bkcari Boina, le Molinaco et le Pasoco. Fini le temps où l’on craignait l’audace du mongozi révolutionnaire, Ali Soilihi. Fini le temps du msomo wa nyumeni, des tracts sous le manteau. Des Ali w’Adili, Gaya et Mnamdji, défiant une garde prétorienne à eux tous seuls. Bref, fini le temps des dissidences et des résistances…

Entre temps, d’aucuns se seront chargés de sonner le cor de la reddition finale,. Courage, vérité, combat. Que des mots ! Rien que des mots qui n’ont plus eu de sens, en ces années où la realpolitik transforma nos concitoyens en mouton de Panurge. Il ne manquait plus qu’une stèle pour achever le processus de démantèlement. Et sans doute que si cela continuait encore un peu, des funérailles seraient généreusement offertes par un pays ami, qui s’appellerait la France. L’an dernier, nous avons signé un super traité d’amitié, allant dans ce sens, à l’Elysée. Un scénario se poursuivant sans qu’aucun grain de sable ne vienne semer le doute dans les esprits. Sortez chapelets et linceuls, nous dit le muezzin à Moroni, rendez-vous au cimetière. Entre Anjouan et Mayotte, on enterre l’ineffable. Et il n’y aurait donc plus rien à ajouter. A moins de vouloir jouer aux chiens qui aboient pendant que passe la caravane. Combien sont-ils, en effet, à camper ce rôle, sans chercher à saisir le sens d’une action politique située au-delà du simple slogan ?

Il en est parmi eux qui parviennent à perturber le jeu, avec un certain bagout, parfois. Ainsi, du  président Ahmed Abdallah Sambi, qui, en son temps, réussit à bloquer les refoulements de Comoriens depuis Mayotte, au nom du droit international. Cela ne dura pas, hélas. Puisqu’en trois semaines, un petit ambassadeur français lui fit entendre raison à coup de grimaces et de mise en demeure. Un désastre à vous plomber toute une opinion en émoi pour les cent prochaines années. Mais ne voilà-t-il pas qu’émerge de ce bourbier sans nom une éclaircie, au moment où l’on s’y attend le moins. A quelques jours, en effet, de l’arrivée aux Comores d’un président français, François Hollande, dont les intentions belliqueuses de contrôle de la zone océan indien sont affichées de façon scandaleuse, avec l’assentiment des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission de l’Océan indien (Seychelles, Madagascar, Maurice, Réunion et Comores réunis), il s’exprime une conscience en éveil. Celle du gouverneur de l’île autonome d’Anjouan, M. Anissi Chamsiddine.

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Il y a longtemps qu’un tel phénomène ne s’était produit en dos îles. Bien agité dans sa toge, Monsieur le gouverneur Anissi, s’écarte de la ligne officielle, nomme les morts du Visa Balladur, accuse l’adversaire de génocide qui-ne-dit-poing-son-nom, se refuse à la déportation de la population comorienne depuis Mayotte. C’était le 29 juillet dernier, à l’occasion de la fête de l’Aïd El Fitri, jour symbolique s’il en est. Et il aurait pu s’arrêter là, le bon bougre. Il n’en faut pas plus pour créer un antécédent sans retour avec le voisinage, bien que l’on doive toujours se méfier, dans la mesure où Sambi nous a déjà servi un petit feu de paille, en la matière. Il semble que Monsieur le gouverneur avance pour sa part une voie de sortie pour tous. Il propose d’armer les kwasa incriminés par la police française des frontières, présente aux quatre coins de l’archipel, rappelons-le, avec des bouées de sauvetage. Mieux ! Il réfléchirait à une loi, permettant de coller une amende¹ à chaque compagnie de voyage, transportant un sans-papier prétendu sur le sol comorien. Autrement dit, les mots du gouverneur vont se traduire par un arrêté. Une jurisprudence…

Ce qui pourrait être considéré par la Cour pénale internationale comme étant un exercice condamnable de déportation de population par la France sur un territoire étranger (encore faut-il que l’Etat comorien se constitue en accusation auprès de cette cour), va devoir s’arrêter, à Anjouan, du moins. Fini les hordes de refoulés tenues en laisse sur la terre de leurs aïeux, ou alors, il faudrait que la France, de Mayotte, envoie ses faux clandestins dans des pays tiers, des pays voisins, admettant l’inacceptable. Et en attendant la dite loi, le gouverneur s’engage (sans démagogie, nous l’espérons) à fournir les bouées et les conseils de sécurité pour toutes personnes organisant un voyage entre Anjouan et Mayotte. Une manière de signaler aux médias que l’Etat et les citoyens comoriens ne peuvent être complices – indéfiniment – du non-respect du droit international en ces eaux. Une situation qui les empêche de circuler dans leur propre pays, librement.

Peut-être que tout cela n’est que feu de paille, comme pour Sambi. Peut-être que Monsieur le gouverneur devra se dédire d’ici le 23 août prochain, date d’arrivée prévue pour François Hollande à Moroni. Peut-être même qu’il oubliera le sens de ce qui l’engageait dans son discours du 29 juillet. Mais nous sommes en droit de reconnaître là un exercice de dissidence politique comorienne inespéré, qui demande à ce que la société civile, dans son ensemble, française et comorienne, s’engage à mettre la pression pour que cette voie de sortie soit suivie d’effets. Par dissidence, il faudrait entendre cette capacité du gouverneur à sortir des discours ronron, tenus par les élites françaises et comoriennes, dirigeantes ou pas, sur la question. En agissant de la sorte, le gouverneur donne surtout à voir un autre visage du gotha politique national. Il faudrait donc le prendre au mot ! Et vite s’il vous plaît…

La politique se résumant à un putain de rapport de forces à flux tendu, faisons en sorte que parole dite se réalise. Car le gouverneur, seul, n’y arrivera pas. Et le croire signifierait que nous manquons de lucidité. Or, il n’est pas question (ici) de se contenter d’indignations. Il est question d’agir, avant toute chose. Agir pour mettre fin aux naufrages répétés dans ce cimetière marin que la France entretient, coûteusement, dans les eaux comoriennes, avec des milliers d’innocents qui s’en vont sous l’eau, chaque année, après une longue traque en mer, les transformant en « migrant » et en « clandestin », dans leur propre pays.

Une honte et une tragédie, que Paris, une grande nation, se revendiquant des droits de l’homme, doit cesser, au plus vite, d’orchestrer en nos eaux. Le dialogue souhaité entre nos deux pays ne peut se forger dans le silence des milliers de morts du Visa Balladur, et dans la rage contenue des milliers de refoulés de la PAF. Cette réalité politique nous laisse envisager le pire dans un avenir proche. Mais il nous appartient aussi d’infléchir le cours des choses et de dire non à ce qui n’a pas lieu d’être. La mise en cage de toute une humanité. Il y a un siècle, l’Etat français dégommait des hommes de pouvoir aux Comores et en déportait certains autres, en Nouvelle-Calédonie entre autres destinations. Depuis 1995, avec le Visa Balladur, le même Etat provoque la mort de milliers de personnes en mer, et en déporte des milliers d’autres, dans leur propre pays. Nous n’avons plus besoin de quitter le nid pour subir le fouet ultime.

Soeuf Elbadawi, artiste et auteur.

1. Relu depuis Wongo, le blog. De source digne de foi, et par mesure de sécurité, le gouvernorat de l’île d’Anjouan est en train de plancher sur un projet de loi punissant d’une amende d’un million de francs comoriens (environ 2 000 euros) toute compagnie aérienne ou maritime débarquant un passager démuni d’un document d’identité valable sur le sol anjouanais. En moyenne, Anjouan accueille par an plus de 15.000 personnes, refoulées de Mayotte, sans document d’identité. Cette mesure, si elle venait à se confirmer, apporterait jusqu’à plus de 20 milliards de francs comoriens au gouvernorat de l’île. A titre de comparaison, en France, l’amende peut aller jusqu’à 5000 euros à l’entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d’un autre Etat, un étranger non ressortissant d’un Etat de l’Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l’accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité.

Le projet lui-même serait en phase avec le droit international sur la question de l’intégrité territoriale dans l’archipel. Et l’Etat comorien ne pourrait refuser, sauf à vouloir se rendre complice de la tragédie du mur Balladur, tout en en contredisant, dans les faits, la constitution comorienne. Deux raisons valables dont la société civile peut se saisir pour contraindre Anissi Chamsouddine à aller au bout de son idée.

Les mots du gouverneur

« Je voudrais associer ma voix à celle de tous les habitants d’Anjouan, pour présenter nos sincères condoléances aux familles, aux autorités françaises, et celles des autres pays, éprouvées par le crash d’Air Algérie au Mali. Le bilan est lourd, très lourd. Les Comoriens qui ont vécu il y a quelques années le drame du Yemenia, ne peuvent qu’être très sensibles aux conséquences de cet accident.

Cette tragédie, doit toutefois interpeller la conscience humaine, les autorités françaises en particulier, sur le drame qui se déroule, sous nos yeux impuissants, pratiquement chaque semaine, chaque mois et durant toute l’année entre Anjouan et Mayotte, dans un silence assourdissant.

Le choc ressenti pour la perte d’une cinquantaine de compatriotes, devrait interpeller les décideurs et les hautes autorités françaises, pourcomprendre la douleur que ressentent les familles comoriennes, chaque semaine, chaque mois, chaque année, pour les cinquantaines, les centaines et les milliers de comoriens qui meurent en tentant de traverser le bras de mer qui sépare Anjouan de l’Ile sœur de Mayotte, depuis l’instauration de ce tristement célèbre visa Balladur.« 

 

Extrait du discours du gouverneur de l’île d’Anjouan, Anissi Chasmsiddine

prononcé  au jour de l’Aïd El Fitr fin juillet 2014

 

Parole française

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« Les larmes de crocodile et la défausse compassionnelle des dirigeants européens ne peuvent masquer la réalité crue et ignoble. Ces 300 morts accusent l’Europe de non-assistance à personnes en danger. Au-delà de la honte, si bien exprimée par le pape François, c’est un crime qui ne dit pas son nom. Pendant que nous assistons à l’insoutenable sur nos écrans de télévision, un même crime se répète chaque jour aux Comores, dans le silence le plus abject. La France de Hollande, barricadée à Mayotte, bafoue le droit international, en continuant d’appliquer dans toute sa dureté les règles découlant du « visa Balladur ». Depuis 1994, plus de 8 000 morts ont ainsi été dénombrés dans le bras de mer de 70 km de large qui sépare l’île d’Anjouan de Mayotte ».

Noël Mamère, député, France,

le 17 octobre 2013, après le drame des 300 à Lampedousa.

Le crime de la France pour rappel

Au regard du droit international, Mayotte n’est pas un Territoire français d’outre-mer, mais un territoire comorien illégalement occupé par une puissance étrangère. En expulsant chaque années de l’île des milliers de Comoriennes et Comoriens prétendument “ clandestins ”, la puissance coloniale se rend donc coupable de “ déplacement forcé de population ”, donc de crime contre l’humanité.

L’État français, soucieux de présenter un visage émancipateur, a utilisé, et continue d’utiliser les vocables et expressions “ décolonisation ”, “ droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ”. Dans la plupart des cas, cela ne mange pas de pain. La réalité est tout autre lorsqu’il s’agit de peuples et de territoires encore colonisés par la France.

Dans les années 1960, sous le règne du général de Gaulle, on avançait que les peuples d’Afrique s’étaient affranchis de la tutelle coloniale et avaient gagné leur indépendance. Pourtant, dans la plupart des cas – les guerres d’Algérie et d’Indochine constituant une exception –, les indépendances “ accordées ” ont été assorties d’accords dits de “ coopération ” économiques et militaires tout à l’avantage de l’ex-colonisateur. Donnant-donnant : Paris a commencé à soutenir des dictateurs fantoches, qui en retour ont accordé un droit de pillage des ressources naturelles de leur pays par des firmes françaises. Ainsi est née la Françafrique, théâtre de marionnettes à l’échelle d’un continent, dont les ficelles étaient tirées depuis l’Elysée, ou depuis la “ Rue Monsieur ”, dans le VIIe arrondissement de Paris, où siégeait le ministère de la Coopération, spécialement créé en 1959 par de Gaulle pour gérer les relations bilatérales avec les pays du “ champ ” [1].

Décolonisation ? Néocolonialisme ? En fonction des circonstances, le vêtement s’est avéré réversible.

La décolonisation de l’archipel des Comores, au large de Madagascar, s’est lui déroulé de façon très particulière. Avant de rendre son indépendance au pays, Paris l’a en effet amputé d’une partie de son territoire, Mayotte [2]. L’archipel est composé principalement de quatre îles : Grande-Comore, Anjouan, Mohéli et Maoré (en français Mayotte). Lorsque le 22 décembre 1974 un référendum sur l’indépendance est organisé, les Comoriens et Comoriennes votent Oui à 95 %. Le Non n’est majoritaire, de peu, qu’à Mayotte. Le gouvernement français de l’époque, malgré sa promesse de respecter le choix global de la population, en profite pour maintenir sa souveraineté sur cette seule île. Ce qui dès lors, au regard du droit international, devenait une “ occupation ”, que l’ONU condamnera plus de vingt fois.

Archipel amputé

Dès le 12 novembre 1975, la résolution 3385 affirmait la “ nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores ”. Le 6 février 1976, lors d’un nouveau débat sur la question, le vote est bloqué par Paris, unique cas dans l’histoire de cette organisation où la France a opposé seule son veto ! Il faut dire que deux jours plus tard, l’État français organisait sur l’île une “ consultation ” qui donnera cette fois… 99,4 % de Oui à l’occupation française ! Un résultat à faire pâlir d’envie tout régime despotique. Pour y parvenir, il aura fallu faire émerger la faune des petits potentats du Mouvement populaire mahorais (MPM), manipulés par l’Action française, des militants de l’ex-OAS et les gaullistes, user d’intimidation face à une population majoritairement illettrée, et déporter les indépendantistes vers les autres îles, entassé-e-s dans des boutres. Toute cette mascarade sera à nouveau condamnée par l’ONU. Dans son ouvrage, Comores-Mayotte, une histoire néocoloniale, Pierre Caminade expose les motivations françaises : les matières premières comme la vanille et l’ylang-ylang, certes, mais surtout une présence militaire dans cette région – le canal du Mozambique – où passent deux tiers du pétrole exporté du Moyen-Orient. Le livre analyse le processus de “ dom-tomisation ”, puis ses conséquences, notamment la déstabilisation du reste des Comores, devenu chasse gardée d’une clique de mercenaires, Bob Denard en tête : vingt-cinq tentatives de coups d’État en 25 ans, Mayotte servant souvent de base arrière aux barbouzes agissant pour le compte de la République française, puis pour leur propre compte [3].

Le chaos comorien

Entre 1976 et 1994, pour ne pas aggraver la crise née de la partition, le colonisateur a maintenu la liberté de circulation entre les différentes îles. Les Comoriens et Comoriennes ont donc pu continuer à visiter leur famille de part et d’autre de la “ frontière ”, chercher du travail, commercer, etc. Mais en 1994, pour couper davantage Mayotte du reste de l’archipel, le gouvernement Balladur a inventé ce que Pierre Caminade appelle le “ visa scalpel ”, obligeant les Comoriens des autres îles à obtenir un visa pour venir à Mayotte. La liberté de circulation entre les quatre îles se trouvait ainsi entravée et, surtout, la France plongeait du même coup dans la clandestinité toutes les Comoriennes et Comoriens non mahorais présents sur le sol de Mayotte. Devenus “ illégaux ”, ils et elles sont désormais à la merci du patronat mahorais qui peut les faire travailler au noir dans des conditions misérables. Une telle situation ne peut que créer des tensions entre la population de Mayotte et celle des trois autres îles, les Mahoraises et Mahorais étant désormais vus comme des profiteurs par les autres Comoriennes et Comoriens, eux-mêmes désormais considérés comme des “ immigrés ”. Une division qui profite évidemment aux autorités coloniales.

Des rafles gigantesques sont régulièrement organisées pour “ expulser ” les indésirables, dans des conditions de violence inouïe. Selon l’association Survie, “ les maisons de ces “clandestins” sont régulièrement incendiées avec la bénédiction de maires, du préfet et sous la protection de la gendarmerie. Les victimes sont entassées dans des centres de rétention en attendant leur déportation vers les autres îles ”. Ce faisant, Mayotte étant, au regard du droit international, un territoire des Comores illégalement occupé par une puissance étrangère, la France se rend coupable de “ déplacements forcés de populations ” qui sont “ un crime contre l’humanité, passible de la Cour pénale internationale (articles 7.1.d et 7.2.d des Statuts de Rome) pour ceux commis depuis son entrée en vigueur, en juillet 2002 ” [4]. Fort heureusement pour la France, la question de Mayotte n’a plus été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU depuis 1995.

Malgré le danger, des milliers de Comoriennes et Comoriens tentent chaque année de franchir le bras de mer qui les sépare de Mayotte. Des centaines périssent noyé-e-s.

Mayotte aujourd’hui

Mayotte est une île pauvre de 201 234 habitantes et habitants, où le produit intérieur brut par habitant n’était que de 2 600 $ par habitant en 2003 (contre 27 800 $ en métropole). Étonnamment, pour une population qui a voté à plus de 99 % pour être “française”, trente ans plus tard l’illettrisme en français est toujours de 35 % pour les hommes et 40 % pour les femmes. Les gens préfèrent parler malgache ou mahorais, la langue du colonisateur étant plutôt rejetée.

En 1999, presque 30 % de la population n’avait pas l’eau courante, ou pas l’électricité ; 85% n’avait ni WC avec chasse d’eau, ni douche ni baignoire ; 65 % pas de réfrigérateur ; 92% pas de machine à laver. En 1999, 30 % des hommes et 70 % des femmes étaient au chômage (probablement davantage aujourd’hui), sachant que le RMI n’est pas appliqué à Mayotte. En effet, depuis 1976 la France a inventé pour Mayotte le statut de “ collectivité territoriale ”, laissant l’île très largement à l’écart du droit commun.

Ainsi les Mahorais et Mahoraises peuvent choisir entre le statut de droit commun, identique à la métropole (administrations, tribunaux, etc.), et un “statut personnel” dérogatoire au code civil et à la laïcité, et réservé aux musulmans. Pour ceux et celles relevant du “ statut personnel ”, la justice est rendue par des cadis, dans le cadre de la Charia. Les cadis sont des fonctionnaires religieux nommés et rémunérés par le préfet, Jean-Paul Kihl. Le droit de répudiation des femmes par leur mari, ainsi que la polygamie, ont néanmoins été interdits depuis la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l’outre-mer.

La loi du 11 juillet 2001 prévoit en effet l’application progressive du droit commun, dans la perspective de l’évolution vers le statut de département d’outre-mer (DOM). Une évolution qui impliquerait la disparition du “ statut personnel ” et l’application du RMI. De loin, on peut y voir un progrès. Le problème est que cette évolution est “ subie ” par le peuple mahorais, comme une directive coloniale, et ne procède pas d’une authentique volonté populaire.

Quoi que prétendent nos dirigeants de tous bords, c’est une imposture de déclarer que Mayotte doit rester dans le giron d’une France qui foule aux pieds le droit le plus élémentaire de se retrouver et de vivre ensemble pour le peuple comorien. L’État français doit quitter Mayotte et laisser le peuple comorien libre de choisir son avenir.

Ngoc, Alernative Libertaire, Paris-Sud.

[1] Le ministère de la Coopération a été fondu au sein du ministère des Affaires étrangères le 1er janvier 1999. Le gouvernement Jospin voulait par cet acte symbolique signifier que, désormais, les relations entre la France et ses ex-colonies ne seraient plus marquées du sceau de l’exception, mais répondraient aux règles de la diplomatie classique. Dans ce cadre, Brigitte Girardin est l’actuelle ministre déléguée à la Coopération et à la Francophonie.

[2] En fait l’archipel des Comores avait déjà lui-même été amputé de Madagascar par les Français en 1946.

[3] Pierre Caminade, Comores-Mayotte, une histoire néocoloniale, Agone, 2003, 192 pages, 11 euros.

[4] Survie, communiqué du 20 décembre 2005.

Les mots de François Mitterrand

« Je pense que dès maintenant nous devons prendre les mesures qui permettront une communication et des échanges constants entre Mayotte et les autres, les autres et Mayotte. Qu’il n’y ait plus de barrières dressées, barrières théoriques, mais peu franchissables, entre tous les Comoriens que vous êtes, eux et vous. Et que la France vous aide à retrouver votre très ancienne solidarité. Il est de multiples formes d’unité, croyez-moi, et nous allons les rechercher. »

 

François Mitterrand, président de la République Française

Moroni, le 13 juin 1990.

La lettre ouverte

Lettre ouverte de l’écrivain Aboubacar Ben Said Salim au président de la République Française, François Hollande, à l’occasionne sa venue à Moroni, le 23 août 2014.

Monsieur le Président,

Je vous ferai tout d’abord remarquer que je ne vous donne pas de Son Excellence ni ne mets une majuscule à président comme c’est la coutume dans nos contrées ! Je pense que le titre de président de la République est le plus élevé qu’un dirigeant politique puisse avoir et c’est à ce titre qu’en tant que citoyen Comorien, ami raisonné de la France, je m’adresse à vous à travers la présente.

Sachez que l’histoire mouvementée des relations entre votre pays et le mien a toujours connu des accélérations regrettables sous les régimes socialistes et vous le savez mieux que moi vous qui êtes l’héritier de Monsieur Mitterrand ce sphinx politique qui a su pasticher à la fois Jaurès et De gaulle dans sa façon de gouverner mais à la manière Canada Dry !

Dans d’autres circonstances et en d’autres temps l’arrivée d’un président de la République Française, aurait été signe d’espoir de changement, ou plutôt de correction de la faute politique qu’un lobbying de droite et d’extrême droite a fait commettre à la République contre ses propres intérêts dans le long terme et contre l’intérêt d’un peuple qui se croyait ami de la France, le peuple Comorien, et ceci dans le court et moyen terme.

Vous n’ignorez pas en votre qualité de président de la République Française, les déchirements et les drames que la soustraction frauduleuse de Mayotte à son ensemble politique et géographique, et l’érection du nouveau mur liquide de Berlin que représente le visa Balladur nommé ici à juste titre le « visa pour la mort » ont comme conséquences dans le développement ou plutôt la stagnation des Comores et la destruction de la cohésion nationale et sociale pour ce même peuple réparti sur 4 îles

Mais cyniquement et vous le savez bien, cette stagnation et cette destruction de la cohésion nationale et sociale sert parfaitement votre dessein d’éloigner Mayotte des autres îles indépendantes à la manière de Haïti et de St Domingue.

Vous créez ainsi un semblant d’opulence toute artificielle à Mayotte et une misère criante dans les autres îles avec l’aide empressée de dirigeants qui ont votre faveur et qui pensent plus à leurs portefeuilles qu’au bien-être du peuple.

Vous vous rappelez sans doute de l’Etat de l’Allemagne de l’Est sous la guerre froide et le mur de Berlin et connaissez aussi bien son Etat actuel.

Ceci doit vous interpeller et vous faire cesser l’illusion d’une politique de co-développement qui n’est qu’un gouffre de l’argent du contribuable Français et une forme nouvelle d’humiliation du peuple Comorien des trois autres îles libérées ! Vous savez très bien que si vous ne contrôlez pas politiquement un peuple vous ne contrôlerez pas sa marche vers le développement. Déjà la France hexagonale dont vous avez la charge connaît malgré vous une récession économique et c’est votre coopération avec des pays souverains comme la Chine ou les Etats-Unis qui vous apporte un peu d’oxygène, et non une quelconque coopération avec la Corse , le Pays Basque ou l’ Etat de Washington !

L’histoire est un juge sévère et les faits historiques et politiques sont si têtus qu’ils finissent toujours par nous rattraper. Ce qui se passe aujourd’hui entre la Russie, l’Ukraine et la Crimée devrait vous servir de leçon pour ce qui est de Mayotte. Plutôt que d’agir dans le sens d’un éloignement de plus en plus accentué d’avec les Comores en en faisant d’abord un département Français puis une RUP , l’intérêt bien compris de la France serait de calmer les ardeurs de nos frères Mahorais dans leur haine des autres îles et de leurs ressortissants, haine avouez le, savamment distillée par la politique forcément coloniale menée à Mayotte par votre pays et qui consiste à stigmatiser le « Comorien » et plus particulièrement l’ « Anjouanais » en tant que le bouc émissaire , le mangeur du pain des Mahorais , comme au 19è siècle on a stigmatisé le Juif en Europe comme la source de tous les malheurs .

Permettez, monsieur le président, que je vous rapporte une anecdote, celle d’un boulanger dans un petit village qu’on va situer en Auvergne et que les habitants n’aimaient pas beaucoup car il ressemblait à un Juif Ils l’accusaient de tricher sur le poids du pain et d’autres malversations inventées pour la circonstance. A force, la haine monta grâce au levain de la calomnie et du mensonge, si bien qu’un beau matin il n’y avait plus de pain au village ! Le boulanger Juif qu’on accusait entre autre de venir manger le pain des Français, était parti. Cette anecdote correspond bien à la situation des Comoriens des autres îles sœurs et leur statut à Mayotte il suffirait de remplacer Juif par Comorien ou Anjouanais.

Dans la précipitation de la France pour asseoir des raisons de la forfaiture politique de l’occupation illégale de Mayotte , elle a comme du temps de l’esclavage et du Code Noir déformé les faits en faisant de Mayotte une île habité par des chrétiens et des malgaches , faisant de la minorité visible comme on dit chez vous la majorité des habitants de Mayotte.

Je ne reviendrai pas sur les exactions et les combinaziones de l’administration coloniale

Françaises qui ont précédé la montée du mouvement pour l’indépendance, contre les tenants de l’unité nationale qu’on appelait à l’époque les « serrer-la-main », je ne reviendrai pas sur la chasse au sorcière dont ils sont été victimes , je ne reviendrai pas sur la déformation des résultats du fameux référendum de 1974 , par la suppression de plusieurs bureaux de votes où le oui à l’indépendance l’avait emporté !

Un jour pas trop lointain je l’espère, les archives de ces évènements nous révéleront la vérité ! Et cette vérité ne pourra que faire honte aux politiciens Français !

Monsieur le président, vous ne serez pas le bienvenu à Moroni car vous raviverez les douleurs des familles des morts en kwassa et elles sont nombreuses et la date de votre arrivée, si vous arrivez finalement sera assimilée à la Toussaint fête bien connue chez vous de Commémoration des morts.

Et si pour votre plan de transformation de la COI en entité des îles de l’Océan Indien pour faire jouir à Mayotte les avantages d’un Etat qu’il n’est pas ou du moins pas encore, vous poussent malgré tout à braver la rancœur et la colère de tout un peuple ; sachez Monsieur le président que vous risquez d’avoir un accueil plus chaud que chaleureux de la part du peuple Comorien que ne peut en aucun moment cacher les sourires convenus et les poignées de mains obséquieuses des dirigeants qui vous accueilleront.

A moins, oui à moins que vous n’apportiez dans vos valises au minimum la levée du visa pour la mort, le visa Balladur !

Dans cet espoir et dans l’attente de sa réalisation, je vous prie de croire monsieur le président de la République Française, en l’expression de mes sentiments sincères et respectueux.

Aboubacar Ben SAID SALIM, écrivain.

Ecrivain

Chevalier du Croissant vert

Membre du Mouvement Citoyen